La grande distribution profite de la misère des gens

Entretien avec CHRISTIAN KHALIFA,
Président Indecosa CGT

Président de l’Indecosa-CGT, Christian Khalifa met en cause les mesures de l’exécutif contre l’inflation et l’opportunisme mercantile des grandes enseignes. Il souligne la désespérance qui gagne les consommateurs et qui pourrait à terme profiter à l’extrême droite.

Quels premiers enseignements tirez-vous du panier test de « l’Humanité magazine », au regard des remontées que vous avez eues des consommateurs ?

Le gouvernement a assuré qu’il n’y aurait pas de « mars rouge », mais on constate que les prix continuent d’augmenter considérablement. Sur un chariot à 200 euros, les consommateurs mesurent une hausse flagrante des prix d’au moins 10 à 15 euros supplémentaires. Mais il est difficile de comparer d’un mois sur l’autre. Les grandes surfaces modifient les contenants, leurs quantités, leurs présentations, etc. Et sur le ticket, c’est quelques centimes de plus sur tel ou tel produit. Cela ne saute pas forcément aux yeux. On le voit bien sur le panier de « l’Humanité magazine ». Mais le ressenti des gens, sur le long terme, c’est bel et bien que tout a augmenté, et ce, depuis la crise sanitaire.

Avec quelles conséquences ?

La plupart des gens finissent le mois à zéro. Et quand l’alimentation augmente de 15 à 20 %, ils sont obligés de réduire leurs dépenses, de faire des choix. Prioriser les gâteaux pour les enfants, manger moins de viande, supprimer les laitages, acheter des produits de moins bonne qualité. C’est d’ailleurs souvent la qualité qui se dégrade : on prend la gamme en dessous. Du coup, c’est la santé qui en pâtit.

L’opération « Trimestre anti-inflation » du gouvernement était pourtant censée amortir, voire limiter la hausse des prix

A l’Indecosa-CGT, nous étions favorables à la mise en place d’un panier anti-inflation avec des prix bloqués. Je parle d’un panier qui aurait été défini par le gouvernement. Sauf que ce dernier a délégué ce panier à la grande distribution. C’est une aberration ! Chaque enseigne promeut tantôt les « 100 produits à moins de 2 euros », tantôt les « 50 produits anti-inflation » dans une surenchère de communication, avec des produits qu’elle sélectionne parce que ce sont les plus rentables pour elle, pas pour le consommateur.
Si on avait eu un panier type, avec du lait et du beurre à tel prix quel que soit le magasin, le consommateur s’y retrouverait. Le gouvernement n’a clairement pas pris ses responsabilités. Il a tout délégué à la grande distribution, qui est la grande gagnante. Sur la période, le nombre de cartes de fidélité aurait augmenté de 30 %. C’est indécent. La grande distribution, profite de la misère des gens pour faire des profits.

L’inflation n’est pas une fatalité Quels sont les possibles leviers d’action ?

Nous ne sommes pas favorables aux chèques, qu’ils portent sur l’énergie ou l’alimentaire. Ce qui fait le plus mal au porte-monnaie, c’est la TVA. C’est donc là qu’il faut agir. Si on considère que l’alimentation est un bien vital il faut proposer des produits sans TVA. Mais il serait question, a contrario, de la relever. Ce serait une difficulté supplémentaire. L’autre levier, c’est d’augmenter les salaires. Mécaniquement, cela permettrait de consommer plus. Le problème c’est que le gouvernement n’agit pas à la source. C’est oublier qu’à un moment, les consommateurs n’en pourront plus. Il faut faire attention à la désespérance. À force de supprimer leurs sorties, leurs vacances, de faire des sacrifices dans l’alimentation, les gens se disent que, puisque les gouvernements successifs n’ont rien pu faire, ils vont voter RN aux prochaines élections. Ce sont des choses qu’on entend régulièrement. Cette situation fait le lit de l’extrème droite. C’est très inquiétant.

Quelle est, selon vous, la principale cause de l’inflation ?

La spéculation. On met beaucoup de choses sur le dos de la guerre en Ukraine, mais il n’y a pas que ça. Des banques et des fonds d’investissement ont spéculé sur la hausse du cours des matières premières pour réaliser des profits non négligeables. Tout cela mériterait d’être encadré et contrôlé.

Sur quels points insistez-vous auprès des consommateurs ?

Dans la période, nous aurions souhaité que le gouvernement accentue l’information du consommateur sur la composition des produits, notamment, afin qu’il puisse évaluer son rapport qualité/prix  et ne soit pas contraint d’adapter sa consommation au prix. Que le consommateur sache ce qu’il a dans son assiette et connaisse la vraie valeur du produit. Un consommateur bien informé, c’est un consommateur qui va pouvoir faire ses choix par lui-même et non pas par des prix imposés.

Entretien réalisé par Alexandra Chaignon – journaliste à l’Humanité magazine – 27 avril 2023

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